W ou le Souvenir d’enfance est un ouvrage de Georges Perec publié en 1975 et qu’il aurait entamé à 13 ans. Ce projet fut amorcé par un feuilleton paru dans le magazine La Quinzaine littéraire quelques années plus tôt et a pris une forme définitive dans cette œuvre qui apporte de l’innovation à l’écriture autobiographique. Cet article se propose de fournir des informations succinctes sur W ou le souvenir d’enfance de l’auteur Georges Perec. Il s’agit de fournir aux lecteurs tous les éléments pour connaître et comprendre la profondeur de cette oeuvre extraordinaire.

Sommaire

Résumé de l’oeuvre

Autobiographie …

On découvre comment Georges Peretz, né en 1936, a vécu une partie de sa vie auprès de ses parents, Icek et Cyrla, tous deux juifs polonais venus à Paris au lendemain de la guerre de 1914, dans le quartier de Belleville. Il devient orphelin de père en 1940 lorsque Icek Peretz, engagé dans l’armée, rend l’âme sur le champ de bataille.

Suite à ce coup dur, sa mère le fait partir l’année qui suit à Villard-de-Lans afin de le sauver des nazis, où il est baptisé par ses sauveteurs qui ont francisé son patronyme : il n’est plus Peretz, mais Perec désormais. Sa mère à son tour est déportée à Auschwitz en 1943 d’où elle n’est plus jamais revenue. En 1945, il vivra auprès d’une tante paternelle et son mari, Esther et David Bienenfeld. Il passe les années de guerre dans le Vercors où de nombreux petits Parisiens, malades ou non, juifs ou non, sont envoyés loin de la capitale occupée. L’auteur recourt à des photographies, qui ne figurent toutefois pas dans le livre, et il les décrit avec un grand souci de réalisme.

Fiction …

Le récit fictif commence lorsque le héros, un certain Gaspard Winckler reçoit une lettre dont l’auteur lui est inconnu, lui donnant rendez-vous. Le mystère caché dans la lettre le fait se rendre sur le lieu, où il rencontre Otto Apfelstahl. Ce dernier fait comprendre à Gaspard qu’il vit avec une fausse identité, et qu’il se doit d’enquêter sur la disparition du véritable Gaspard Winckler, quelque part du côté de la Terre de Feu. Le réel Gaspard Winckler serait un petit garçon sourd-muet et autiste. Sa mère, célèbre cantatrice, avait affrété le yacht Le Sylvandre pour un tour du monde susceptible de sortir son fils de son handicap. Le yacht a malheureusement chaviré aux abords de la Terre de Feu, sur l’île W. Le faux Gaspard se rend donc à l’aventure, mais on n’en sait pas plus puisque le récit est coupé et laisse plutôt apparaître l’île W dans toute sa splendeur… et dans toute sa lugubrité.

En effet, W apparaît à première vue comme la société parfaite, où vivent des individus régis par un idéal sportif. Ses 4 villes sont disposées en carré, avec une organisation interne impeccable. Cependant, l’idéal olympique se désagrège : on sélectionne les athlètes pour leur capacité à la victoire sur des critères morphologiques. Les épreuves particulièrement cruelles (le pentathlon et le décathlon) et les Atlantiades, compétitions sexuelles, divertissent la population malgré les humiliations qu’elles lui causent. Mais aveuglés par leur maxime “Fortius, Altius, Citius” (Plus fort, plus haut, plus vite), ils se laissent aller à la dérive : le paradis de Perec devient un univers cruel, inhumain.

… Ou les deux ?

Cette oeuvre comporte en son sein deux récits, chacun avec sa particularité, quoique ne formant qu’un seul corps. Ils sont alternés et différents d’apparence : la partie fictive apparaît en italique, tandis que l’autre garde des caractères droits.

Cette oeuvre à la fois fictive et autobiographique renferme de nombreux secrets, de nombreuses peines, de nombreux ressentis enfouis dans le coeur d’un enfant à qui la barbarie de certains hommes a arraché les principaux repères.

Analyse

Étude des personnages principaux

Les principaux personnages du livre sont :

  • Gaspard Winckler : Héros et narrateur de l’histoire en italique de la première partie ( les chapitres impairs), dont les données de naissance sont très floues. Son histoire est liée à celle du petit Gaspard Winckler dont il a frauduleusement hérité l’identité, un enfant malingre, rachitique et sourd-muet à la suite d’un traumatisme enfantin. On pense que ces deux personnages ne sont qu’une seule et même personne : Georges Perec. Le petit représente son passé, et le fraudeur son présent. On le renvoie donc chercher son enfance dans les méandres de sa mémoire tantôt sélective, tantôt trompeuse, tantôt floue. Remarquons également que l’initiale de son prénom (g) correspond à celle du prénom de Perec alors que l’initiale de son nom renvoie à l’île W.
  • Georges Perec : Héros de ce chef-d’œuvre, les informations qu’il nous donne de lui-même sont différentes de celles fournies par Gaspard, notamment sur les plans identitaires, temporaires et spatiaux. Il raconte ses souvenirs d’enfance avec la première personne du singulier “je”, et la troisième personne du singulier quand il est question de W. Ce trait est compréhensible quand il dit avoir imaginé cette histoire. On assiste donc à un dédoublement : le jeune Perec de 12 ou 13 ans d’une part, et Perec adultes, en la personne du faux Gaspard Winckler, qui ressasse et rassemble ses souvenirs.
  • Caecilia Winckler : mère du petit Gaspard. Cantatrice autrichienne mondialement connue, elle fournit de faux papiers aux fuyards. Son prénom fait écho à celui de la mère de Georges Perec, Cyrla Szulewicz, appelée communément Cécile. Il y a donc un lien entre le personnage de fiction et la femme déportée à Auschwitz : Caecilia sauve Gaspard Winckler en lui donnant l’identité de son propre fils, parallèlement à Cyrla qui elle, sauve la vie de son fils en l’envoyant loin.
  • Esther Bienenfeld : La sœur du père de Georges Perec. Elle et son mari David seront d’un grand secours à Georges, qui sera recueilli auprès d’eux et grandira plus sereinement entouré de membres de sa famille, bien que les liens familiaux secondaires lui semblent dérisoires.

Structure inhabituelle de l’oeuvre

La structure de ce livre est inhabituelle. Il est composé de deux histoires imbriquées et superposées :

  • Plusieurs renvois mutuels entre les deux histoires offrent un aspect miroir : le personnage de Gaspard Winckler, ses handicaps et les camps de concentration illustrent cet échange.
  • Le basculement de la première à la deuxième partie se manifeste par un nouveau signe typographique : une page blanche avec au centre des points de suspension entre parenthèses. Cette rupture renvoie à la fois à la séparation de Georges et de sa maman, et au début du périple de Gaspard Winckler pour W. Ce motif de la rupture revient à de nombreuses reprises dans le souvenir de Perec : la fracture physique fait donc écho à une première cassure beaucoup plus profonde.
  • La dédicace, «pour E», peut donner lieu à plusieurs interprétations : il peut s’agir d’Esther, la tante adoptive de Perec. Si on lit «pour eux», cette dédicace peut faire référence aux parents de Georges. Cependant, rien ne permet de trancher définitivement sur cette dédicace pas commune.

W et les camps de concentration nazis

Au-delà de ce qui a été décrit, on peut facilement transposer l’image de W à celle des camps de concentration nazis. Cette exaltation de la virilité, la supériorité de la race aryenne sur toutes les autres, la célébration des forts sont tout ce qu’offre l’idéologie nazie dans les camps de concentration. Tous les étrangers sont brimés, tués parce qu’ils ne sont pas blonds de race, comme les athlètes se retrouvent tués de manière atroce et lugubres par cet idéal. Finalement, W ne forme que1 avec les camps de concentration : l’humiliation, l’inhumanité, la mort, sans aucun état d’âme.

Une pudeur dans le retrait des affects

Personne n’a jamais eu le courage de clairement faire comprendre à Perec que ses parents étaient morts. Au contraire, c’était un sujet tabou qui ne circulait que dans les chuchotements. Dans tout son livre, il n’exprime jamais clairement qu’il a mal, que cette situation le perturbe, mais justement cet effacement dit tout. Ce retrait tient sans doute à une défense inconsciente contre les émotions et ce qu’elles pourraient laisser affluer. De plus, cette pudeur qui transpire de ses écrits n’est pas pas sexuelle. Mais ses ressentis profonds, il les garde en lui même parce que les laisser transparaître ou les dévoiler serait presque égal que dévoiler son intimité.